Microbiome intestinal et allaitement : implications dans le développement immunitaire précoce
oct. 14,2022
La mise en place du microbiote au début de la vie est un processus complexe qui a des implications à long terme sur la santé. Cette revue résume les preuves du large impact de l’allaitement sur le microbiome (les microorganismes et leurs gènes) intestinal en début de vie et aborde les mécanismes par lesquels certains composants spécifiques du lait maternel structurent la colonisation, l’évolution et les fonctions du microbiote intestinal.
Les enjeux de la colonisation par le microbiote:
La programmation métabolique, la maturation du système immunitaire et le développement du système gastro-intestinal sont fondamentalement liés à la colonisation intestinale par le microbiote. Des perturbations de la colonisation pendant la petite enfance ont été associés à un risque accru d'asthme, de dermatite atopique, d’allergies alimentaires, de diabète, de maladies inflammatoires ainsi que des pathologies intestinales et d'obésité. Parmi d’autres facteurs périnataux comme l'âge gestationnel et le mode d'accouchement, l’alimentation du nourrisson a une influence majeure sur la colonisation précoce.
La composition du microbiome chez l’enfant allaité:
L’intestin est d’abord colonisé par des bactéries anaérobies facultatives comme Staphylococcus, Streptococcus, Enterobacteriaceae et Lactobacillus qui créent un environnement propice aux bactéries anaérobies obligatoires : Bifidocacterium, Clostridium et Bacteroides. Le microbiote des enfants allaités a une abondance de Bifidobacteries qui prédominent en partie par leur capacité unique à métaboliser les oligosaccharides du lait maternel (HMO). On retrouve également une abondance de Lactobacillus, et moins d’Eubacterium, Veillonella et Bacteroides. Il contient aussi une richesse en gènes microbiens impliqués dans le métabolisme des glucides et des lipides notamment la biosynthèse des acides gras, la phosphorylation oxydative et la synthèse de vitamine B.
Les enfants non allaités ont un microbiote qui évolue trop rapidement vers un microbiote adulte.
Les oligosaccharides du lait maternel composants majeurs et déterminants:
Les HMO favorisent certaines bifidobactéries comme Bifidobacterium longum subsp infantis (B infantis) qui peuvent les fermenter en produisant des acides organiques (acetate, lactate, formate) qui eux même favorisent la production d’autres acides gras à chaîne courte (AGCC) par d’autres bactéries en faisant baisser le pH de la lumière intestinale. Les bifidobactéries produisent aussi de l’ILA (acide indole-3-lactique) qui est potentiellement responsable des effets antiinflammatoires observés avec une colonisation importante par B. infantis. Les AGCC et l’ILA peuvent influencer le système immunitaire par différents mécanismes en étant absorbés et redistribués dans les tissus périphériques.
Les anticorps Ig A influencent l’établissement et le maintien du microbiome intestinal :
Le lait maternel est très riche en IgA et relativement pauvre en IgG. Les IgA protègent le nourrisson des infections respiratoires et entériques. Les IgA permettent l’agglutination des virus et des bactéries pathogènes et leur élimination par péristaltisme dans la lumière intestinale. Les IgA peuvent également neutraliser les toxiques et certains facteurs de virulence, limiter l’invasion et la prolifération de pathogènes, inhiber la réponse inflammatoire intestinale et moduler la réponse immunitaire. Ils favorisent la prolifération de certaines bactéries bénéfiques.
Les microorganismes du lait maternel ont encore un impact méconnu :
L’écosystème microbien du lait maternel est étudié depuis une 20aine d’années. Les bactéries les plus communes sont les Staphylococcus et Streptococcus mais on trouve également des Gemella, Pseudomonas, Corynebacterium, Bacteroides, Veillonella, Rothia, Lactobacillus, et Actinomyces en abondance notable. L’origine de ces microorganismes fait encore l’objet de nombreuses recherches. Il y a encore très peu d’information sur les capacités fonctionnelles de bactéries et autres micro-organismes du lait maternel qui pourraient être une source de nombreuses bactéries bénéfiques encore inconnues à ce jour.
La dysbiose intestinale est associée aux maladies atopiques:
Les enfants souffrant de maladies atopiques présentent des différences dans l’abondance de certains taxa bactériens. Le lait maternel influence la mise en place et le maintien d’un microbiome (via les HMO, les IgA et les microorganismes) qui pourrait potentiellement protéger le nourrisson contre les maladies atopiques par différents mécanismes. La production d’ILA et d’AGCC, l’immunogénicité des lipoprotéines de Surface (LPS) et l’immunomodulation par les polysaccharides de surface vont impacter le système immunitaire à plusieurs niveaux : par la différentiation des cellules Treg, l’induction de voies métaboliques associées à la tolérance orale, le renforcement de la barrière intestinale et la régulation de l’équilibre Th1/Th2 de la réponse inflammatoire.
L’association entre allaitement et développement des maladies atopiques est moins claire en raison de limitations méthodologiques et de l’impossibilité de réaliser des études randomisées pour des raisons éthiques. Les études les plus cohérentes montrent une protection de l’allaitement contre la dermatite atopique et l’asthme.
Conclusion :
Le lait maternel, en plus de fournir les nutriments essentiels à la croissance a évolué pour contribuer à la colonisation précoce de l’intestin par le microbiote. Approfondir les connaissances sur les relations dynamiques entre lait maternel, microbiome intestinal et développement immunitaire pourrait ouvrir de nouvelles opportunités dans l’amélioration de la santé humaine.
Source: Davis EC, Castagna VP, Sela DA, Hillard MA, Lindberg S, Mantis NJ, Seppo AE, Järvinen KM. Gut microbiome and breast-feeding: Implications for early immune development. J Allergy Clin Immunol. 2022 Sep;150(3):523-534. doi: 10.1016/j.jaci.2022.07.014. PMID: 36075638; PMCID: PMC9463492.